Simon Martin couche sur la toile, la teneur de ce qu’il aime. Des personnes, des fleurs, le reste, partagent une même langueur, enregistrée en des surfaces aux gammes crayeuses, d’une sensualité toute minérale. Par la peinture, il transforme l’instant en image selon une stratégie férocement photographique, relevant de l’écriture par la lumière. Une forme d’insolation est ainsi opérée par les tâches radieuses que le peintre compose sur sa pellicule de lin. Elles impriment un sentimentalisme sans émotion. L’onirisme sucré qui s’en dégage, provient peut-être de cette temporalité propre aux tableaux éclairés par des astres encore inconnus. Jour et nuit.
Jour. Les ombres apparaissent plus claires que les obstacles qui les génèrent, phénomène renversant la vision diurne traditionnelle. La solarisation, chérie par les photographes d’avant-garde, désigne également une méthode agricole pour cultiver la fertilité d’un terrain. Ici et là, les rayons se retrouvent captifs de membranes. La vie transpire.
Nuit. C’est à ce moment que cela se passe. Dans une petite maison familiale ouverte à tout vent, l’artiste s’active quand les autres dorment. Et ses modèles notamment. S’il ne représente que son proche entourage, c’est qu’une relation de confiance doit exister pour que ses sujets s’abandonnent. Ainsi s’immortalise le sommeil des choses.
Jour. La volupté rocailleuse partout tangible s’ancre autant dans le béton de la banlieue que la pierre méditerranéenne, deux environnements incontournables pour qui cherche à situer ces œuvres. Les pans de murs toujours cramés par l’été, sont aussi le possible support de fresques italiennes comme franciliennes. S’affirme une périphérie de la figuration.
Nuit. Car les identités s’effacent, et la pénombre y contribue. Il peut y avoir des visages mais jamais de portrait. Alors le pinceau contourne la vraisemblance, la caresse. Malgré leur charge érotique stupéfiante, les images s’obstinent à rester pudiques. Cette rare réserve gorge les formats d’un désir original. Son empreinte séduit sans se savoir timide.
Jour. Les scènes jaillissent avec une assurance solaire. Il s’agit de ne pas s’ennuyer, une fois l’anatomie placée. Et si des détails ne sont pas nécessaires, ils disparaissent dans un morceau de clarté. D’où l’aspect crépi, voire friable, de certaines zones affichant une texture de plâtre posée à la truelle. De vastes éclats s’en libèrent, une fois l’obscurité poncée.
Nuit. Il y a beaucoup de gris, mot bien trop concis pour saisir les épaisseurs de son pluriel. Celles-ci forment un liant qui permet aux teintes pastels des chairs de tenir, tout en célébrant une dimension spectrale. Leurs reflets argentés réveillent des expérimentations argentiques, de ces épidermes touchés par les lueurs même nocturnes.
Simon Martin dresse sur la toile, la teneur de ce qu’il aime. Des personnes, des fleurs, le reste, partagent une pareille vigueur, cueillie en silence dans la qualification de toutes les couches qui la constituent, dont celles que l’on ne voit plus. Consumés par leur exposition prolongée, des corps demeurent sous le défilement des heures, gisant de préférence. Ces motifs de passivité irritent la précipitation, devenue le standard de nos flux. Ils imposent un impertinent répit, dans la fraîcheur bleue du matin, dans la douceur rose de l’après-midi. Alors sur notre rétine, chaque peinture décharge une impulsion électrique, selon une facture qui parvient à éterniser l’éblouissement. Jour et nuit.
Joël Riff, 2020